(Texte original en hébreu par Yair Lapid)
Etre Israélien. – Allumer la télévision la nuit et voir qu’au lieu de « Rambo 3 » on diffuse un film d’horreur local dont nous sommes tous les acteurs.
– Espérer qu’il n’y ait personne que tu connaisses, être content qu’il n’y ait personne que tu connaisses, avoir honte d’avoir été content.
– Continuer de regarder l’écran même si tu sais exactement quelle sera la prochaine image.
– Dire » Il y a deux semaines j’etais exactement au même endroit, c’est incroyable! ». Sentir que tu y as échappé alors que tu n’es même pas passé près.
– Faire un tour dans la maison à deux heures du matin, regarder en silence les enfants qui dorment, et penser que comme ça, sous les couvertures, ils ont soudain l’air à nouveau si petits. Etre Israélien. – Savoir que quelque chose s’est passé en fonction des chansons à la radio. Te faire la remarque que c’est justement pendant les attentats qu’il y a les chansons les plus belles.
– Comprendre que quand le journaliste dit « Il y a des blessés » il veut dire en fait qu’il y a des morts, et que « état désespéré » signifie « lutte pour sa vie ». Te demander ce que cela veut dire exactement « victimes en état de choc » et comprendre tout seul après quelques secondes de reflexion.
– Téléphoner à la famille même tard et demander si ça va, juste comme ça.
– Aller au centre commercial comme si tu allais en milouim et aller en milouim comme si tu allais à la guerre.
– Dire « si j’avais un minimum de cervelle, je partirais en Australie » mais ne pas en avoir l’intention sérieusement.
– Se disputer un peu plus avec celui ou celle avec qui tu vis mais ne pas t’avouer a toi-même que c’est à cause de la tension. Etre Israélien. – Dire « Il faut leur rentrer dedans », sans savoir dans qui exactement.
– Dire « ça ne peut pas continuer comme ça », mais craindre que c’est peut-être exactement comme ça que ça va continuer.
– Dire « Il faut leur reprendre Gaza », juste pour t’entendre le dire. Comprendre qu’il n y a pas de solution simple, mais espérer malgre tout qu’il y en ait une.
– Ecouter des émissions radio où des gens appellent et disent des choses horribles, penser que cela montre a quel point nous avons dégringolé et toi aussi avoir un peu envie d’appeler.
– Te souvenir que tu as déjà fait confiance à trop de dirigeants qui t’ont déçu mais te persuader qu’il y a encore peut-être quelqu’un.
– Te dire que le temps est arrivé d’écrire un testament, mais ne pas le faire. Etre Israélien. – Ressentir en pleine journée une fatigue inexplicable, qui commence dans les épaules et qui descend le long de la colonne vertébrale.
– Ne pas être religieux et se demander ce qu’il en est de D’ieu, ou religieux et se demander ce qu’il en est de l’armée.
– Dire « les accidents de la route font plus de morts », mais ne pas être sur que ça soit encore vrai.
– Faire le compte: après Jerusalem et Haifa, biensûr arrivera le tour de Tel Aviv.
– Etre en colère quand on dit « attentat rusé » parce que même ce compliment ils ne le méritent pas. Rencontrer un ami qui te demande si tu as entendu que Georges Harrisson est mort et penser qu’il débarque de la lune.
– Savoir, de manière claire et paralysante, que dans un jour, maximum deux, il s’avera que tu connaissais quelqu’un qui est mort. Et sinon, quelqu’un qui connaissait quelqu’un… Etre Israélien. – Dire: « Moi j’vais bien. Le pays, lui, est dans la merde ».
– Commencer des phrases par les mots « Mise a part la situation… ».
– Annuler des voyages parce que ce n’est pas le moment et puis voyager quand même parce que merde après tout.
– Se souvenir sans savoir pourquoi de Rabin.
– Découvrir que tu n’as jamais parlé avec ton fils de la guerre et te jurer que tu trouveras le temps de le faire.
– Vouloir aller voir le dernier film Israélien dont tout le monde parle, parce que c’est quelque chose d’Israëlien.
– Manger un peu plus que d’habitude, se lever tard et puis courir.
– Remarquer que tout le monde raconte des blagues ces derniers temps. Savoir que tout cela veut dire quelque chose, mais sans être sur de savoir quoi. Être Israélien. – Sentir que le pays te dépasse.
– Echanger des phrases connues avec des gens que tu ne connais pas, écouter des phrases que tu ne connaissais pas dans la bouche de gens que tu pensais bien connaitre.
– Entrendre le premier ministre parler de « la force d’endurer et de résister », et comprendre avec retard que c’est de toi dont il s’agit.
– Te consoler en te disant que cette année au moins, il pleut.
– Te tenir debout à côté de la fenêtre avec un verre de thé et penser, pour la première fois depuis des années, a quel point il est beau de la part de D’ieu de nettoyer comme cela le monde.
– D’accepter de recevoir des chèques a paiement différé, parce que cela aussi est en rapport avec la situation.
– S’asseoir pendant la nuit face aux factures et décider qu’il faut se serrer la ceinture.
– Regarder des photos plutôt que de lire le journal. Être Israélien. – Etre quelqu’un d’un peu meilleur que ce que tu pensais être capable d’être. »